Propos recueillis par Yulia Kochneva, 14 février 2011
Traduction de l'anglais par Noémie Schoen
Au-delà des 60 dernières années l'Europe n'a pas toujours été que le continent des lumières et le berceau de la démocratie. Elle fut aussi le théâtre du rejet et de la haine la plus barbare. Accentués par les crises actuelles, la xénophobie et le racisme reviennent sur le devant de la scène européenne.
Sonja Licht, Directrice de la Fondation pour l’excellence politique de Belgrade et membre du Groupe d’éminentes personnalités du Conseil de l’Europe, est à la recherche de réponses aux menaces que l’intolérance et la discrimination font peser sur l’Europe. Aux côtés d’autres personnalités européennes qui constituent ce groupe, elle travaille sur la préparation du rapport « Vivre ensemble au XXIe siècle – Le projet paneuropéen » qui sera présenté lors d’une conférence ministérielle à Istanbul en mai prochain.
Que signifie pour vous votre engagement dans ce groupe de travail?
J’ai été très honorée lorsque le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe, M. Thorbjørn Jagland, m’a invité à faire partie du groupe, surtout lorsque j’ai appris qui étaient les autres membres du groupe. J’ai aussi été très heureuse de participer à ce projet ambitieux en tant que représentante de la société civile et plus particulièrement du réseau des Ecoles d’études politiques du Conseil de l’Europe.
Comment se structure le travail au sein du groupe? Ce groupe est composé de 10 personnes éminentes de pays différents; est-ce que les différences culturelles, historiques et politiques se ressentent lors des réunions de travail? Est-ce un avantage ou est-ce que cela crée au contraire des difficultés?
Lors de la première réunion à Strasbourg, le groupe a convenu du déroulement complet de notre travail, des sujets que nous voulions traiter ainsi que du calendrier des réunions. Nous avons aussi rencontré quelques personnalités du Conseil de l'Europe, notamment le Secrétaire Général et nous avons abordé les sujets que nous traiterons dans le rapport. La réunion suivante, qui s'est tenue à Budapest, était consacrée à la question des Roms et à leurs problèmes en Europe. Nous nous sommes réunis à Istanbul pour la réunion suivante où nous avons discuté de migration et des différences religieuses dans l'Europe contemporaine. Il y aura trois autres réunions. La dernière sera consacrée au rapport suscité par toutes ces discussions, aux informations préparées en avance pour les réunions, aux séances avec des personnalités diverses, notamment des officiels, des politiques, des universitaires, des leaders d'opinion, des dirigeants religieux, les médias et des experts dans l'éducation ainsi que bien d'autres.
La vérité est que le groupe est à la fois hétérogène et harmonieux, ce qui signifie que nous venons de milieux culturels, politiques et historiques différents et que nous avons des expériences personnelles très diverses mais nous représentons tous en même temps des valeurs très similaires. Ce qui est également très important c'est que nous sommes tous disposés à écouter et à apprendre. Je pense que c'est une condition très importante afin d'être capable de rédiger un rapport constructif.
Comment définissez-vous « vivre ensemble », une expression galvaudée en Europe occidentale ? Considérez-vous que c'est l'un des principaux enjeux du projet européen?
En pleine guerre de l'ex-Yougoslavie en 1993, le Soros Fund à Belgrade a organisé un programme pluriannuel pour les enfants sous le nom de « Let's live together » (« Vivons ensemble »). Dans l'un des camps d'été (pour enfants et réfugiés de milieux ethniques différents), un atelier dessin a été consacré au thème du programme. Un enfant de neuf ans a dessiné un mouton noir et un mouton blanc jouant ensemble. Mais ils saignaient aussi. Ce dessin à été agrandi en poster et illustrait de la meilleure manière qu'il soit nos intentions ainsi que nos inquiétudes, comprises de manière plus claire et plus explicite par un enfant plutôt que par de nombreux adultes intelligents et cultivés. C'est pourquoi « vivre ensemble » est peut-être employé trop souvent, mais aussi longtemps que nous essayons de nous comprendre et de nous respecter les uns les autres et d'apprécier le fait que l'Europe est l'Europe dans un sens culturel et civilisationnel et aussi longtemps qu'elle restera unie dans la diversité alors « vivre ensemble » restera un concept essentiel pour notre survie.
Quelles recommandations désiriez-vous voir inclues dans le rapport final?
Les recommandations seront discutées par nous tous lors de notre travail. A l'heure actuelle, il est trop tôt pour en parler. Nous traversons actuellement une phase passionnante et complexe et je suis sûre que nous allons apporter une réflexion sérieuse et je l'espère, d'importantes recommandations. Nous voulons tous que ce rapport apporte une contribution décisive dans les débats futurs sur la nature et l'avenir de notre Europe commune.
Vous êtes souvent appelée « la mère de la société civile en Serbie », de quelle manière peut-on encourager la mobilisation citoyenne dans les pays européens et sur l’ensemble du continent pour lutter contre la montée de la xénophobie et la multiplication des actes racistes?
En encourageant les citoyens à participer à la construction de cette Europe commune, en leur apprenant à être fiers d'être Européens et que l'identité européenne signifie l'inclusion. Ce n'est pas seulement inacceptable, mais c'est aussi totalement ridicule que certains prêchent la xénophobie et le racisme dans le but de défendre l'Europe des autres. Nous avons besoin d'engagement civique pour défendre nos valeurs européennes authentiques, mais aussi afin d'être capable de répondre aux défis du XXIe siècle: le changement climatique, le manque de ressources, etc. Sans l'engagement total des citoyens, sans initiatives fondamentales qui ramèneraient la solidarité et le respect total du bien commun et sans des politiques différentes basées sur l'éthique plutôt que sur l'intérêt partial, nous risquons de perdre non seulement l'Europe mais aussi notre unique et magnifique planète.
Le comité des ministres du Conseil de l’Europe a déjà adopté de nombreuses recommandations sur la lutte contre le racisme dans différents domaines, notamment politiques et institutionnels, sans que cela mène cependant à des résultats vraiment concrets ; comment allez-vous faire en sorte que vos recommandations soient efficaces?
En approfondissant et en élargissant le débat sur les recommandations et les problèmes qui sont traités. Et j’espère en encourageant un plus grand nombre de personnes pour non seulement discuter mais aussi agir en conséquence. Il y a un sentiment d’urgence parmi nous, au sein du groupe et je suis également persuadée parmi ceux qui sont attachés aux valeurs et aux objectifs dont le Conseil de l’Europe se réclame. Il n’y a pas de temps à perdre si nous voulons continuer à développer les droits de l’Homme et ceux des minorités, la démocratie et l’Etat de droit.
Pensez-vous que le Conseil de l'Europe soit la structure appropriée pour identifier des moyens d'action efficaces considérant le fait que l'engagement financier de ses Etats membres est en train de diminuer? Cela ne constituerait-il pas un problème de crédibilité?
Je crois beaucoup au Conseil de l'Europe. Cela fait plus de 20 ans que j'ai commencé à travailler avec cette organisation. Cela explique principalement pourquoi je suis déterminée à lutter pour le renforcement et le développement perpétuel du réseau d'écoles d'études politiques. Et effectivement, je suis sûre que le Conseil de l'Europe soit le cadre le plus approprié pour traiter de tous les sujets pour lesquels nous sommes inquiets. J'espère que cette institution va être relancée grâce aux réformes nécessaires qu'elle est en train de mettre en place et j'espère que le rapport de notre groupe contribuera à l'enrichissement de son cadre conceptuel. J'attends et j'espère que les Etats membres reconnaitront aussi l'importance du Conseil de l'Europe pour leur propre futur mais aussi pour le futur de notre continent et de notre monde.
Photo: archives du Conseil de l'Europe