Propos recueillis par Noémie Schoen, 23 mars 2011
A l’occasion de la présentation à Paris de son dernier livre Construire l’Europe, la démocratie et la société civile, de la Russie aux Balkans, Denis Rolland, Professeur d'histoire des relations internationales contemporaines à l’Institut d'études politiques de Strasbourg, nous livre un regard d’historien sur le réseau des écoles d’études politiques du Conseil de l’Europe. Retour sur l’origine de l’ouvrage et sur les enjeux de cet ambitieux projet.
Qu’est ce qui a motivé l’écriture de ce livre?
Plusieurs choses à la fois.
Tout d’abord le master « European studies » qui est dirigé par l’Université de Sienne en partenariat avec l’Université de Strasbourg et où je suis le coordinateur français. J’ai donc pour habitude de faire travailler des étudiants de haut niveau qui se déplacent dans quatre pays en Europe au minimum pendant un an et qui doivent réaliser un projet concret.
La deuxième motivation, c’est un grand projet de recherche, qui me prendra une dizaine d’années sans doute, sur les identités de périphérie de l’Europe et qui embrasse non seulement le Caucase et les Balkans, mais aussi les Etats-Unis et l’Amérique Latine - là où un modèle européen s’est diffusé.
Troisièmement, Professeur à l’Université de Strasbourg, je souhaitais me rapprocher des institutions européennes qui siègent dans cette ville. Pour être honnête, le Conseil de l’Europe est une institution très inconnue. Moi-même, quand je suis arrivé à Strasbourg, je me suis demandé la raison d’être de cette institution et j’ai donc envie qu’on comprenne mieux son rôle. Le Conseil à un défaut de communication, qui n’est pas nécessairement de sa volonté, mais il communique mal et est peu perceptible à l’extérieur. On le voit d’ailleurs bien, il y a très peu de choses publiées sur le Conseil de l’Europe.
Voilà donc les portes d’entrées qui ont donné naissance à ce premier livre. La démarche à été de reconnaitre qu’il y a une excellente initiative, les écoles d’études politiques du Conseil de l’Europe, qui font un excellent travail. Je n’avais pas le temps de m’en occuper tout seul, j’ai donc mis des étudiants sur ce projet l’an dernier. Ils ont été passionnés, ils ont travaillés avec moi.
Est-ce que le travail sur ce livre a changé votre perception de l’Europe ?
La vision que j’ai du Conseil de l’Europe et de son fonctionnement a changé, d’autant plus qu’on est en train de travailler avec une autre promotion d’étudiants sur une des Commissions de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Ma connaissance de cette institution s’approfondit un peu.
Ce n’est ni la vision d’un politiste pur, ni celle d’un juriste, mais bien celle d’un historien internationaliste et je crois effectivement que je rentre progressivement dans les questions de plus en plus complexes de la relation du Conseil de l’Europe avec l’Union européenne. C’est une relation ultra prioritaire pour les écoles d’études politiques puisque celles-ci sont nées et se sont développées grâce au financement de l’UE, avec un programme joint qui s’est arrêté à la fin 2010. Je dois ajouter que pour moi, c’était un élément supplémentaire de motivation. Quand j’ai vu que la règle de ces programmes est de s’arrêter à l’échéance du programme joint, mettant en jeu et en danger ces écoles, je me suis dit qu’il fallait faire connaitre ce travail à l’extérieur, et c’est une personne extérieure qui doit le faire.
Le résultat c’est donc ce livre, qui s’appelle Construire l’Europe, la démocratie et la société civile, de la Russie aux Balkans.
Quel est le degré d’influence du réseau ? Pensez-vous que l’objectif de démocratie des écoles trouve un point d’ancrage dans les pays concernés ?
Il y a toujours un degré profond d’intégration du travail des écoles dans la réalité nationale car c’est la vocation même des écoles. Une école qui ne serait pas politiquement bien intégrée dans le pays ne saurait exister. On peut parler d’une véritable intégration, mais qui est en même temps très diverse, car les écoles sont très hétérogènes : elles n’acceptent pas exactement les mêmes profils de participants d’un pays à l’autre. Cela dépend aussi du directeur de l’école, de son origine et de sa façon de voir les choses. Elena Nemirovskaya donne une impulsion et une couleur particulière à l’école de Moscou par exemple.
L’interaction entre les écoles est différente selon les pays. A partir du moment où dans tel pays, l’individu qui dirige l’école est considéré comme un opposant politique, c’est un peu compliqué. Si au contraire la personne est liée à un parti au pouvoir, c’est un peu plus facile. Le travail consiste à rassembler tout le monde quelques soient les pensées, afin d’avoir une vraie visibilité. En Albanie, par exemple, des officiels ont participés à l’inauguration de l’école, ce qui montre son intégration. Il y a des insertions différentes mais l’insertion nationale est obligatoire, sinon cela ne fonctionne pas. De ce que je comprends des processus de monitoring du Conseil de l’Europe des écoles, il y a des injonctions qui sont lancées, des remarques qui sont faites de manière à ce que l’école soit vraiment insérée et représentée.
Comment rendre le réseau des Ecoles d’études politiques plus visible ?
Il faut d’abord construire le réseau, et c’est ce qui est en cours avec l’association des écoles dont Catherine Lalumière est présidente. Il faut que ce réseau travaille, qu’il communique et il ne faut pas non plus être obsédé par la communication car le travail des écoles est un travail de fond avant d’être un travail visible. L’important est de former les élites politiques et celles de la société civile. L’association des écoles va donner de la visibilité au projet. Il faut aussi que le Conseil y travaille et en fasse une de ses priorités. Je pense que deux ouvrages vont aussi donner un peu de visibilité, mais il est nécessaire de mettre sur la table les problèmes de ces écoles de façon à ce qu’on en parle et qu’il y ait le moins possible de non-dits.
Qu’attendez-vous de la publication du livre sur les écoles d’études politiques ?
Le premier volume c’est un recueil d’entretiens avec une introduction et beaucoup de documents. J’ai pris un spectre large de personnes que mes étudiants ou moi-même avons interrogées, ici à Strasbourg ou à l’étranger, du Monténégro à Moscou, de façon à présenter de manière objective des points de vue de l’intérieur comme de l’extérieur du Conseil de l’Europe : des universitaires, des partenaires, des ONG, des bailleurs. L’introduction cadre un peu les choses, il y a beaucoup de graphiques, de tableaux, d’annexes documentaires.
Ce livre doit pouvoir servir à la communication du Conseil de l’Europe et aider ceux qui ne connaissent rien à cette institution, à se forger un point de vue.
Il y aura un deuxième livre, Pour une gouvernance démocratique européenne. C’est un livre d’analyse des écoles et qui posera un certain nombre de questions sur le lien avec l’Union européenne, la relation avec les autres financeurs des écoles, le fonctionnement, les modalités de formation, le manque d’homogénéité ou la nécessaire hétérogénéité de ces écoles. Il sera publié dans les mois à venir. Il représente mon analyse, ma perception des choses en tant qu’historien, sur la manière dont se sont constituées les écoles, sur leur fonctionnement, leur programme, leur financement, sur les problèmes que cela pose à la terminologie des droits de l’Homme et à celle de la démocratie. Il n’y aura sans doute pas le logo du Conseil de l’Europe sur ce deuxième livre puisque ce sera ma parole et je ne suis pas fonctionnaire du Conseil de l’Europe. Ce sera un ouvrage qui permettra d’aller plus loin et plus librement et de soulever un certain nombre de questions auxquelles je ne me permets pas de répondre.