Par Jack Hanning
Secrétaire Général de l' Association européenne des Ecoles d'études politiques du Conseil de l'Europe
Au moment de la chute du mur de Berlin il y a 25 ans, le renversement des dictatures a suscité une euphorie à l'échelle du continent. La paix, la stabillité et la démocratie devinrent alors les maîtres mots pour un avenir européen prospère et brillant.
Mais le rêve d'un "Wonderland » démocratique là l'échelle du continent a été de courte durée quand les difficultés économiques, couplées avec les incertitudes politiques et les conflits militaires, ont graduellement engendré un sentiment de désarroi et de la morosité.
Qu'est-ce qui a mal tourné et que peut on y faire ?
Pourquoi y a-t-il un nombre croissant de pays, tant au Conseil de l'Europe qu'à l'UE, qui semblent avoir opté pour l'autocratie plutôt que pour la démocratie ?
Pourquoi les pays qui s’étaient prononcés contre la politique du “deux poids deux mesures” et pour une Europe sans clivages appliquent-ils aujourd'hui des normes à deux vitesses et créent-ils eux-mêmes de nouveaux clivages politiques et militaires ?
Ces 25 dernières années, l'Union européenne, le Conseil de l'Europe et des dizaines d'organisations de la société civile et autres organisations ont consacré énormément d'énergie et d'argent à aider les nations en voie de démocratisation à réformer leurs
institutions, leurs systèmes juridiques, leurs organes judiciaires, leur police, etc.
Tout ceci s'est produit en accord avec les autorités de ces pays qui, de leur plein gré, ont fait le choix d'adhérer au Conseil de l'europe. Ils ont librement et volontairement accepté de souscrire aux normes et obligations découlant de l'adhésion à une institution qui incarne les principes de la démocratie, des droits de l'homme et de l'état de droit et qui privilégie le règlement pacifique des conflits.
L’utilisation de la force militaire par un état membre contre un autre état membre, tel que nous venons de l’observer en Crimée, crée, par définition, des clivages et est contraire à la Charte des Nations Unies, l’Acte final d’Helsinki de la CSCE et à tout ce que le Conseil de l’Europe et l’Union européenne représentent. Comme le dénonçait très justement l’ancien Président français François Mitterand dans son dernier discours devant le Parlement européen : “le nationalisme, c’est la guerre”.
Une législation répressive qui réduit au silence la société civile (ex. l’ONG russe GOLOS) est incompatible avec la notion de société démocratique défendue par le Conseil de l’Europe, qui a souligné la nécessité de travailler avec les organisations non gouvernementales dans sa toute première résoution statutaire adoptée en 1951. Là aussi, nous avons un standard différent, voire un double standard également !
D’autres exemples sont l’interdiction de Twitter et de You Tube ainsi que l’emprisonnement de dizaines de journalistes en Turquie, qui, en parfaite contradiction avec la convention européenne des droits de l’homme, viole la notion de liberté d’expression, restreint la liberté de la presse et intimide forcément d’autres, les empêchant de fonctionner efficacement.
L’arrestation et la détention de personnes actives dans la vie politique et publique en Azerbaïdjan, notamment la sentence de 7 ans d’emprisonnement prononcée à l’encontre du Directeur de l’Ecole des Etudes Politiques de Bakou, Ilgar Mammadov, et autres cas fondés sur des motivations politiques, sont clairement contraires aux normes juridiques et de droits de l’homme du Conseil de l’Europe.
Les récentes élections en Hongrie sont un autre exemple du manquement au respect des principes démocratiques. Selon l’OSCE, un certain nombre de facteurs a fourni au parti au pouvoir un avantage indu, notamment une couverture médiatique biaisée et une démarcation floue entre l’Etat et le parti.
Il est clair qu’une tendance préoccupante se dessine dans un certain nombre de pays où les notions mêmes de démocratie et de droits de l’homme sont altérées. Nous sommes confrontés à une image en miroir dans laquelle démocratie équivault à autocratie et justice à répression et intimidation. C’est comme si nous étions témoins de l’émergence d’une Europe d’autocracies aux côtés de l’Europe des démocraties imaginé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale !
Cela me rappelle les propos très parlants du grand avocat et politicien français, Pierre-Henri Teitgen, qui en 1949, alors qu’il plaidait pour un mecanisme international des droits de l’homme, avait dit “… le mal progresse sournoisement ; une minorité agissante, comme l’on dit, s’empare des leviers de commande. Une à une, les libertés sont supprimées, secteur par secteur. L’opinion publique, la conscience universelle, la conscience nationale sont asphyxiées. ……”(2)
Teitgen poursuit en soulignant qu’il faut intervenir avant qu’il ne soit trop tard. Aujourd’hui, cela siginfie que le Conseil de l’Europe et l’Union européenne doivent sonner l’alarme et agir de manière déterminée avant que les choses aillent de mal en pis.
Cela signifie également que nous avons besoin de davantage d’Ecoles d’études politiques, plus fortes et avec des ressources supplémentaires, pour alerter les générations montantes sur les dangers et les pièges auxquels la démocratie est confrontée.
L’Europe pour laquelle nous nous battons est basée sur la liberté et la justice : liberté de remettre en cause, de s’informer, liberté d’écrire et de parler, liberté de vivre à l’abri de la corruption, de la mauvaise gestion, de la discrimination, de l’ intimidation, de la tyranie.
Selon les termes de l’ancien Président tchèque Vaclav Havel : “Tout porte à croire que l’on ne doit pas avoir peur de rêver sur ce qui est en apparence impossible si l’on souhaite que l’apparemment impossible devienne réalité. Sans rêver d’une meilleure Europe, on n’édifiera jamais une Europe meilleure”
(1) Lewis Carroll 1871 (2) PACE Official Reports, August 1949, p.1158.