Lena Nemirovskaya : En Russie, l'éducation à la citoyenneté a toujours été et reste une entreprise risquée

Lena NemirovskayaPar Lena Nemirovskaya
Directrice de l'école d'éducation à la citoyenneté
25 avril 2013

Traduit depuis le russe par Yuliya Kochneva

Ainsi va la vie : nos rêves demeurent inachevés, nos idéaux ne se concrétisent pratiquement jamais. Mais dans nos efforts apparemment sans espoir d’influer sur la réalité vécue, nous découvrons une partie plus humaine de nous-mêmes et la question de « ce qu'il faut faire ou ne pas faire? » n’est plus pertinente.

 

 

Je souhaite travailler, tant que j’en ai l’a possibilité. Si je dis «tant que » c’est parce qu’en Russie, l’éducation à la citoyenneté a toujours été et reste une entreprise risquée. Nous avons lancé notre projet dans un espace socio-politique et nous nous trouvons à présent dans un environnement complètement différent. Nous faisons pratiquement la même chose que jadis, mais nous avons aujourd’hui une bien meilleure compréhension des choses. Ce dont je suis sure, c'est que depuis la création de l’Ecole, les jeunes gens qui participent à nos séminaires se sont toujours sentis à l’aise.

Dans notre école, nous produisons quelque chose qui n’existe pas dans le monde qui nous entoure, ce qui est rare dans la Russie d’aujourd'hui. Certains l’appelleraient « capital social », d’autres – « bien public ». Nous parlons ici des valeurs humaines universelles : la liberté, notre droit individuel à vivre et à penser par nous-mêmes, à avoir nos propres opinions et à apprendre, par l’argumentation et le débat, à défendre notre conception de la vie. Ces valeurs ne sont généralement pas remises en cause ni par les participants à nos séminaires, ni par les experts, aussi bien étrangers que Russes.

Peut-être que tout le secret réside dans l’atmosphère de nos séminaires et dans les thèmes que nous abordons: si nous parlons de la liberté d’expression, de la suprématie des droits ou de la démocratie, alors c’est exactement cela que nous avons à l’esprit : la liberté d’expression, la suprématie des droits et la démocratie, et non pas des substituts. Un débat intellectuel honnête est toujours contagieux. Je dirais que c’est une pure joie d'être dans un état de libre pensée. La société russe contemporaine est très divisée. Quand les jeunes gens se rencontrent dans le cadre de l’Ecole cette désunion disparaît grâce à leur ouverture d’esprit face à la complexité de la vie et à leur volonté de se saisir de cette complexité.

La devise de l'Ecole est « L’éducation à la citoyenneté pour une société civile » parce que nous croyons que tous ceux qui se considèrent comme citoyens, pas seulement parce que c’est écrit dans leur passeport, doivent faire trois choses: voter aux élections, payer les impôts et penser par eux-mêmes. Ils doivent, en d’autres termes, être des hommes et des femmes éclairés et modernes, ce qui n’est pas toujours facile.

Il est impossible de forcer une personne à devenir éclairée. Elle doit décider de le devenir par elle-même. Pour cette raison, nous invitons à l’Ecole en premier lieu ceux qui donnent déjà du sens à leur participation aux affaires publiques. Ils savent notamment que la société civile est impossible sans institutions indépendantes du pouvoir d'une bureaucratie corrompue. Je précise : indépendantes de cette bureaucratie-là, et non de l’Etat, car si nous construisons une société civile forte, alors nous aurons un Etat fondé sur la primauté du droit, ce qui est différent du pouvoir. L’Etat est une union politique de citoyens libres, alors que le pouvoir est seulement l’autorité que nous lui prêtons au moment des élections et le gouvernement est la manifestation de ce pouvoir en vertu de la Constitution.

Ce n'est que de cette façon qu’une société civile moderne peut émerger. En d’autres termes, comme l’a écrit Ernest Gellner, ami et expert de l'Ecole, dans son livre « Les conditions de la liberté » : «l’ensemble de différentes institutions non gouvernementales qui doivent être suffisamment solides pour servir de contrepoids au gouvernement, remplir son rôle de pacificateur et d’arbitre entre divers groupes d'intérêt, et entraver toute envie de domination et d'atomisation du reste de la société ».